Sur les hauteurs du Sillon del Inca

Terra Altiplano est partis sur les traces du Sillon del Inca, « le fauteuil de l’Inca » appelé également Incahuasi (du quechua, wasi (maison) de l’Inca).

Ce site archéologique, auquel on accède uniquement à pied après un trekking de plus de 8 heures sur les hauteurs de la Quebrada del Toro, est un beau challenge pour tous les amoureux du trekking, de la randonnée et des grands espaces.

Il est aussi et surtout un site archéologique qui génère bien des interrogations, principalement autour son  » siège de l’Inca » ou « Sillon del Inca« , ce fauteuil dont l’origine généra de nombreuses études, recherches et discussions.

Le site d'Incahuasi: comment s'y rendre?

Le site archéologique d’Incahuasi est situé dans le nord-ouest de l’Argentine, dans le secteur centre-ouest de la province de Salta, département de Rosario de Lerma. C’est un lieu difficile d’accès car il n’y a pas de route véhiculaire qui arrive directement au site.

L’accès se fait à pied depuis Ingeniero Maury (2.300 m. d’altitude) situé sur la route nationale N° 51, qui relie la ville de Salta avec la petite ville de Puna de San Antonio de los Cobres. A partir de cet accès, le marcheur empruntera un sentier dit archéologique: un fort dénivelé de 1 000 mètres devra être gravis avant d’atteindre le col de la colline du Gólgota (3 300 mètres d’altitude).

Le randonneur entamera une descente jusqu’au ravin de l’Incamayo qui est formé par l’union des courants Pascha et Incahuasi : les ruisseaux Pascha et Incahuasi viennent du nord et de l’est respectivement.

Il y a, dans les environs, quelques familles installées ainsi qu’une école abandonnée.

Études et explorations Archéologiques du site d'Incahuasi

C’est au début du vingtième siècle que le site archéologique d’Incahuasi fait l’objet de premières études et explorations par des intellectuels tels que Martín Leguizamón, Carlos Burmeister, Eric Boman, Carlos Burmeister, Eric Boman et Walter Aiotz.

Martín Leguizamón fait une description générale du site et met un accent particulier sur
l’enceinte où se trouve un élément curieux: un siège. Il collecte des matériaux et en rédige
une description. C’est la première étude connue sur le site d’Incahuasi.

 

Fouilles et études archéologiques de la « Casa del Inca » et du « Sillon del Inca »

L’ingénieur Walter Aiotz est envoyé sur le site pour réaliser des études, avec le soutien de la Commission européenne. En 1916, Atilio Cornejo effectue des fouilles et étudie le site en réalisant des descriptions architecturales et constructives détaillées de l’enceinte où se trouve la Silla del Inca, le siège de l’Inca. Il publie pour la première fois une photographie de l’enceinte appelée « Casa del Inca ». Il intègre le site dans le réseau routier préhispanique de la région, en le mettant en relation avec l’altiplano, les vallées de Calchaquí, la vallée de Lerma et le site archéologique de Tastil.

 

Sur le chemin de l’Inca.

Certaines sources historiques confirment que l’Incahuasi faisait partie de la route suivie par les premiers Espagnols entrés par Tucumán. En 1535, Diego de Almagro arrive dans la région à la recherche de nouvelles richesses, ce en suivant le chemin de l’Inca.  Il entre dans la vallée de Calchaquí et de là, passe au Chili.  Il est fort probable que l’itinéraire suivi par Diego de Almagro et les conquistadors antérieurs tels que Diego de Rojas, qui penetrerent dans la vallée de Lerma, fut par le site d’ Incahuasi.

Mystère autour du Tiana, le siège de l'Inca: symbole hiérarchique Inca ou Préhispanique?

Qu’est- ce qu’une Tiana, siège Inca?

Relativement peu d’ouvrages ont été publiés spécifiquement sur ce type de siège. On peut mettre en avant les travaux de l’archéologue péruvien Victor Falcón Huayta (2012). Celui-ci fait en 2012 une analyse détaillée du sujet: Les tianas, sièges incas, étaient des tabourets bas, généralement avec quatre pattes courtes, bien distinctes et une surface concave. Elles étaient faites en bois et roseaux, bien que certains archéologues mentionnent des tianas faites d’or massif.

Les matériaux et la hauteur du tabouret dépendaient de la hiérarchie de la personne qui l’utilisait. Yupanqui, deuxième empereur de l’empire Inca, considéré comme « roi et seigneur, fils du soleil », avait une chaise chaise tiana, en or très fin et haute comme un coude. La mesure d’une coudée correspond à 41,8 cm, ce qui correspond à la hauteur maximale des tianas, la plus haute hiérarchie du pouvoir (certains étaient presque au niveau du sol).

Parmi les quelques tianas incas préhispaniques qui ont survécu jusqu’à ce jour, on peut apprécier que la construction est simple et qu’ils n’avaient pas de peintures ou de décorations. En dépit de la « simplicité » de ce mobilier, las Tianas avaient une grande portée symbolique et politique car utilisées uniquement par l’élite

Le mobilier durant l’époque Inca.

D’après ce que nous savons jusqu’à présent de la vie domestique à l’époque des Incas, le mobilier n’était pas considéré comme éléments essentiels (Falcón Huayta, 2012). « Ils n’avaient pas dans leurs maisons de chaises, de sièges ou tout autre type de mobilier parce que tous, hommes et femmes, s’asseyaient à même le sol. Les caciques et les grands seigneurs avaient l’habitude de s’asseoir à l’intérieur et à l’extérieur de leurs maisons, dans ce qu’ils appelaient Duho ou Tiana, et qui était un tabouret en bois sculpté en une seule pièce ». Le mot « duho » est synonyme de tiana, il s’agit d’un terme antillais.

Discussion sur le « siège de l’Inca »

Le caractère exotique de la « Silla del Inca » à Incahuasi, tenant compte des preuves archéologiques préhispaniques connues, est fondamentalement due à la présence des accoudoirs: ceux-ci nous renvoient à une origine européenne ce qui motive une nouvelle lecture et une nouvelle analyse.

Dans certains ushnus (construction en forme de pyramide à partir de laquelle le Sapa Inca avait l’habitude de présider aux cérémonies les plus importantes de l’Empire inca) il y avait des tianas, ou plutôt des sièges fixes, mais loin d’avoir la morphologie d’un fauteuil avec accoudoirs, comme c’est le cas d’Incahuasi. A une exception pres, celle du Vilcashasi Ushnu, Vilcashuamán au Pérou où il y a un siège double taillé dans un seul bloc de roche et qui a quelque chose de similaire à un accoudoir, mais de dimensions plus réduites.

La question que nous nous posons est la suivante : qu’est-ce qu’un tel fauteuil
fait, encastré dans le mur d’une petite pièce, avec une petite porte et sans fenêtre ?

L’imagination populaire locale suggère que l’Inca s’est assis là pour demander le paiement du tribut, mais nous savons que cela n’a pas fonctionné ainsi.

Une des hypothèse serait la suivante : L’enceinte du site aurait pu fonctionner comme une chullpa  (tour funéraire dans certaines civilisations pré-inca). Puis, le siège aurait été posé par les Incas (sans les accoudoirs), la hauteur du siège laisse à penser qu’il aurait été construit pour des personnes de rang inférieur à celui de l’Inca (de nouveau, s’il s’agissait d’une conception pensée pour un européen, cette hauteur de fauteuil aurait été trop petite).

Pendant la période coloniale: toutes les terres étaient réparties entre les fonctionnaires de l’État de la Couronne, changeant définitivement la configuration géopolitique et le mode de vie des premiers habitants. Quelque temps après la fondation de Salta qui a eu lieu en 1582, le nouveau propriétaire de ces terres, dont fait partis le site d’Incahuasi, a dû imposer un nouvel ordre et re-fonctionnaliser le site. Il aurait conservé une partie de sa valeur ancestrale, et, profitant du siège existant juste devant l’unique porte, aurait effectué une modification dans la construction de l’accoudoir, générant ainsi une sorte de trône dans le style européen.

Conclusion: Que sait-on du site d'Incahuasi?

L’Incahuasi est un site de grande importance pour comprendre l’histoire et les processus historiques qui ont eu lieu dans le nord de l’Argentine entre le XIVe et le XIXe siècle.

Avant l’arrivée des Incas, il était intégré au vaste système d’échanges que constituait l’établissement de l’axe régional de Tastil dans une macro-zone des Andes méridionales grâce au système de caravanes. D’un point de vue géopolitique, Incahuasi était situé dans un point stratégique: il articulait des régions telles que la Puna, les vallées de Calchaquíes, la vallée de Lerma et la Quebrada del Toro, et indirectement, il était lié à la Quebrada de Humahuaca.

Pendant la période inca, Incahuasi a dû jouer l’un des rôles les plus importants de son histoire, car les Cusquéniens se sont vus confier la tâche de démembrer la puissante et florissante Tastil: le pouvoir politique et économique qui était concentré à Tastil fut dilué dans d’autres endroits comme Incahuasi, Potrero de Payogasta, el Moreno et d’autres centres administratifs incas de la région, tous situés dans des lieux géographiques stratégiques, c’est-à-dire des zones écotonales de transition entre des environnements contrastés. Il n’y avait plus un seul centre de pouvoir, mais plusieurs, moins puissants répondant à une seule organisation dans la zone andine, Cusco.

Si nous analysons les éléments architecturaux du site et malgré les grandes modifications qu’il a subie au fil du temps nous nous rendrons compte qu’il s’agissait d’un centre administratif Inca de premier ordre dans la région. Parmi les caractéristiques architecturales les plus pertinentes nous trouvons les grandes niches, la sentinelle de la vigilance, le système de colcas Inca (permettant de stocker des aliments) de près de cent mètres de long et la confluence de plusieurs chemins incas.

Après la fondation de Salta en 1582, son fondateur –Hernando de Lerma– a donné ces terres aux fils du deuxième ministre de l’Intérieur, second dans sa ligne de commandement, le lieutenant-gouverneur Bartolomé Valero. Cela pourrait expliquer l’importance de l’Incahuasi à cette époque de l’histoire.

 

Aujourd’hui le siège garde cependant son nom mystérieux du « siège de l’Inca », laissant place à l’imagination de chaque marcheur arrivant au sommet et empruntant, le temps d’un trekking, la place de l’Inca…

Sources: Christian Vitry, spécialiste d'Archéologie de Haute Montagne et du Nord-Ouest Argentin

Christian Vitry est directeur du programme Qhapaq Ñan Salta et professeur du cours « Archéologie argentine » et du séminaire « L’aire andine et NOA » dans la formation d’Anthropologie de la Faculté des Humanités, Université Nationale de Salta (UNSa), Salta – Argentine.

Tout au long de sa carrière universitaire et professionnelle, Christian s’est spécialisé dans l’archéologie de haute montagne, les systèmes routiers andins, les sanctuaires de haute altitude et les paysages sacrés. Il est également alpiniste et guide de haute montagne, alpiniste et un guide de haute montagne certifié par l’AAGM.